Au nord c’était les corons :
Arthur Smet est né à Valenciennes en 1932, fils d’un mineur illettré comme sa mère, il est l’aîné d’une famille de sept enfants. Dans le coron il ne connait que deux valeurs : travail et respect. Dans la mine, traditionnellement on est communiste, donc contre la guerre, et on admire Maurice Thorez. Ainsi quand Arthur annonce chez lui qu’il reste dans l’armée, son père dit à sa mère : « Maria, fais sa valise, y’a jamais eu de fainéant dans la famille. »
Arthur Smet est un homme aux multiples facettes, ancien militaire, ancien formateur pour l'aviation et photographe autodidacte... Engagé volontaire en 1953 au 1er RI (Régiment d’infanterie) à Bade-Wurtemberg, en Allemagne, il était plus heureux que la plupart de ses autres compagnons d’arme, il mangeait matin, midi et soir, il faisait du sport et il chantait dans l’orchestre du régiment. Le sergent Arthur Smet est ensuite incorporé dans la 2e compagnie du 8e RIM (Régiment d’infanterie motorisée) nouvellement formé en Allemagne. Un jour, le colonel l’envoie chanter « La Madelon » pour une réception donnée au château du prince de Furstenberg. Quinze jours après, le prince lui faisait porter un appareil photo Voigländer de la gamme Vito comme cadeau. Sans argent pour se payer des films de 120, il adressait toute sa solde chez lui, c’est le vaguemestre qui lui achète son premier film de douze vues (6x6).
Départ pour Alger :
Il s'engage dans le 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RIM) qui est envoyé en Algérie en 1955. Avec pour seul bagage son certificat d’études et son appareil photo, il embarque à Marseille et commence à faire ses premières photos lors de l’embarquement pour Oran en septembre 1955. Il connaissait La Marseillaise et le chant du départ, et sur ce gros bateau, chanter ça, ça faisait quelque chose ! Une fois à Oran, il grimpe dans un camion ; direction Alger…
L’aventure commence pour lui qui n’avait jamais quitté le Nord. Il découvre l’insoupçonnable, Il prend les gens en turban, les enfants, les ânes, les corvées d’eau… Il dort avec son appareil et fait développer ses films chez les photographes des villes où il est envoyé. Très vite il participe à des opérations de maintien de l’ordre. Mais les photos qui ne convenaient pas étaient confisquées par les gradés dès leur sortie de chez le photographe. Les hommes égorgés avec les testicules dans la bouche, les femmes pendues par les pieds, la propagande et les corps mutilés, tout cela n’était pas convenable. Dès lors Smet témoignage de la vie là-bas et commence à mettre en images ses camarades, il fait des photos comme il vit l’Algérie. Au total c’est 14 700 clichés qu’il prendra de 1955 à 1962. Il enregistre des images en soldat, sans point de vue autre que celui de ses frères d’arme, d’autant qu’il mène une guerre juste pour défendre son pays et ses frères musulmans de la France d’Algérie. Durant ces années-là, on pouvait faire de la photo simplement parce qu’on avait un appareil et que les autres n’en avaient pas. Il fixe tout sur ses pellicules : les opérations, les corps inertes des deux camps, les montagnes, les enfants, les enterrements, les bidasses, le général de Gaulle, le colonel...
Première promotion interne :
Arthur Smet arrive à Saïda début 1958, là-bas, il y avait un labo photo, mais il n’en avait jamais vu. Un rappelé, chef de gare dans le civil, lui dit : « Je rentre à Paris et je te rapporte du matériel. » Il lui a tout appris : le châssis en bois, la lampe rouge avec le bouton sur la douille, le vinaigre à la place du bain d’arrêt… Un jour son capitaine lui dit : « Maintenant, vous êtes le photographe de la compagnie. » A partir de là, il ne cachait plus son appareil et le laissait bien en évidence sur son ventre. Son rapport avec les officiers et les sous-officiers changea, il n’était plus un pousse-cailloux, tout le monde voulait ses photos. Plus tard le capitaine, lui dit : « Il faut vous acheter un agrandisseur, et passer au 24x36. » Fiancé à la fille du boucher pied-noir de Saïda, il l’envoie chez son ami qui a un magasin photo. Il lui donne un Foca Sport 35 mm, 24 ou 36 poses. Le capitaine lui déniche une boîte pour développer et Smet fait ses débuts dans la photo. A Bel Abbès, à la légion, on lui installe son labo dans les chiottes du théâtre, avec de l’eau courante, une pancarte « interdit de rentrer, ne pas déranger ».
Le cinq sur cinq de Bigeard :
En 1959 c’est le colonel Bigeard lui-même qui le remarque avec son Typhon qui ne quittait plus sa poitrine. Ce nouveau colonel était un jeune homme au milieu des vieux en képi, c’était un soldat ce chef et non un militaire. Il lui dit que désormais, il allait couvrir le secteur pour lui et que s’il avait eu son photographe avec lui, les photos de la journée, il les aurait sur son bureau le soir même. Smet est donc en charge officiellement de la communication, d’où son surnom de « Cinq sur cinq » comme pour dire « Bien reçu ! » en radio. Ainsi Smet devient la doublure du sergent-chef Marc Flament, le photographe attitré du colonel Bigeard. Ancien d’Indochine, Flament dirigeait la propagande photographique des actions des paras du 3e RPC (régiment de parachutistes coloniaux). Ses clichés vont nourrir la légende d’une France qui officiellement n’est pas en guerre et qui défend la population autochtone contre les terroristes.
Peu de temps après, Arthur Smet rencontre le sergent-chef, Marc Flament avec son Rolleiflex et son flash Eclaton 2 étoiles. Il lui dit « Plus de sergent-chef à vos ordres, rompez ; moi c’est Marc ». Son labo était une grande villa où chaque pièce était un laboratoire avec des glaceuses, des rotatives, des G3... Ils se parlaient entre photographes, sans distinction de grades… Un nouveau monde s’offre à lui. Marc Flament, faisait ses bouquins et Arthur Smet alimentait les halls. Dans le sillage du premier et en marge du SCA, « Cinq sur cinq » devient l’une des chevilles ouvrières de l’action psychologique « à la Bigeard » en assurant la couverture photographique du secteur de Saïda pour la réalisation des halls d’informations. Ces grands murs d’images, disposés stratégiquement afin d’être visibles de tous dans les lieux publics. Ils sont accompagnés de slogans promouvant les actions sanitaires et sociales de la France auprès des Algériens, la vie quotidienne citoyenne, militaire et politique, et enfin, les succès d’armes des commandos de chasse Georges et Cobra, nouvellement créés dans ce secteur opérationnel. Il devait glaner tout ce qu’il pouvait et exposer dans le hall, pour la population de Saïda. L’entrée du hall portait l’inscription : « La photo est une arme qui frappe les esprits. »
Marc Flament lui a remis un Rolleiflex avec un objectif qui fermait à f/16 et ouvrait à f/2,8 et une moto pour ses reportages. Plus d’autorisation à demander, désormais il pouvait aller partout sans rendre compte. Arthur Smet dira : « Je partais en moto, j’étais invité partout, dans les matches de foot, les communions, à la gendarmerie… Et tout le monde venait voir mes photos dans le hall d’information. » Son autre travail, consistait à photographier les gens que le colonel voulait voir de près et à lui montrer ce qui se passait sur le terrain. C’était des demandes spéciales pour lesquelles il pouvait faire 200 km, aller-retour en moto dans la journée. « Il regardait les clichés, un clin d’œil et ça voulait dire : C’est pas mauvais, ça vous transperçait ! » dira Arthur Smet.
La fin d’une histoire :
Plusieurs de ses clichés sont publiés à l’époque dans les journaux locaux tels l’Écho d’Oran ou encore l’Écho de Saïda. En 1961, Arthur Smet est affecté au 2e régiment de Zouaves et rejoint Oran pour devenir chef du service photo-presse du corps d’armée d’Oran qu’il dirige à partir de 1962 avant d’intégrer le groupement 102 de l’ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre). Il reçoit l’assistance de deux appelés du contingent, Jean-Marie Pillu dit Périer (célèbre photographe de la revue Salut les copains) et Jean Distinghin, photographe et acteur dans le civil.
En 1963, Arthur Smet prend le bateau pour la France et quitte définitivement l’Algérie au terme d’un séjour de huit années. Il emporte avec lui plusieurs milliers d’images, implacables tant dans leur beauté que dans leur réalité d’une guerre montrée sans fard, qui constituent un corpus photographique d’une grande force. Ces archives photographiques exceptionnelles, couvrent plus d’une décennie d’histoire militaire (1953-1967), elles sont aujourd’hui numérisées et accessibles au public sur la médiathèque de l’ECPAD, au fort d’Ivry (Seine). Peu connu du grand public, il vit actuellement à Saint-Paul, près de Dax, depuis 1969. Pour bien l’apprécier, il faut entrer dans le travail et l’histoire d’Arthur Smet sans préjugé et dépourvu de ce que l’on peut penser de cette période coloniale. Lui-même est le témoin de scènes de violence comme de moments de grande fraternité !
Arthur Smet n’a pas de site internet dédié, mais on peut trouver divers articles sur lui et quelques-unes de ses images ici : http://archives.ecpad.fr/tag/arthur-smet/