Françoise Demulder

La photojournaliste française Françoise Demulder est née le 4 juin 1947 à Paris. Elle a étudié la philosophie et a continué à travailler en parallèle, allant de la modélisation à la vérification des épreuves de presse afin de soutenir son amour du voyage. Brièvement mannequin après ses études, Françoise tombe amoureuse de l'Extrême-Orient, ne sachant pas quand elle reviendra, elle part pour le Vietnam comme touriste avec un aller simple au début des années 1970. Dans le Cambodge en guerre elle obtient une carte de séjour provisoire. Mais son désir croissant de mieux comprendre la situation, la fait rester. C'est pour couvrir ses dépenses qu'elle commence à vendre ses photos du Vietnam, se souvient Phyllis Sipayoglu, l'une de ses très proches amies et épouse du fondateur de l'agence Sipa.


Le Vietnam :

Capable de se déplacer librement dans le pays, Françoise Demulder se forme à la photographie de guerre sur le terrain. Après que la plupart des étrangers soient évacués, elle choisit de rester à Saïgon. Le 30 avril 1975, elle est parmi les rares occidentaux présents aux marches du palais impérial à Saigon, quand entrent les premiers chars nord-vietnamiens. Elle obtient sa première exclusivité mondiale en photographiant ces chars Vietcong entrant dans la ville à la fin de la guerre.

A une époque où il était exceptionnel pour les femmes de travailler en tant que reporter de guerre dominé par les hommes, Demulder faisait partie d’un groupe de femmes photographes françaises talentueuses qui se sont taillées une place au Vietnam. Elle déclarera d’ailleurs lors qu’une interview : « Ne faites pas de moi une héroïne : huit autres journalistes étaient restés avec moi. » En 1977, elle confiera également au magazine néerlandais Viva : « La seule façon de gagner sa vie c’était de faire des photos. Je n'étais pas photographe, mais il y avait un grand besoin d’images sur le Vietnam et j’y étais. Je vendais en moyenne quatre photos par jour à un bureau de presse, car ils étaient les seuls à payer en espèces. Je n’ai jamais eu autant de travail qu'au Vietnam. »


Le prix World Press en 1977 :

Avec l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient, elle a couvert l'actualité à Cuba, au Pakistan et en Ethiopie. Son travail est apparu internationalement dans des publications telles que Paris Match, le Newsweek ou Stern. Ses plus grands clichés, c’est à l'Extrême et au Moyen Orient que Françoise Demulder les doit. En effet, elle est entrée dans la légende du photojournalisme pour ses images de Saïgon, de Beyrouth et de Bagdad, elle est la première correspondante de guerre à recevoir le prix World Press de l’année en 1977. Depuis la création de ce prestigieux prix du photojournalisme en 1956, c'est la première fois qu'il couronne une femme. « Détresse au Liban », est le cliché en noir et blanc primé, sur lequel on voit une femme voilée de noir implorant le ciel face à un milicien, alors que brûle en arrière-plan le quartier palestinien de la Quarantaine, à Beyrouth.

Ce matin du 18 janvier 1976 : la guerre civile au Liban entre dans sa deuxième année. D’un côté, les Palestiniens, soutenus par les partis progressistes et musulmans, qui rêvent de détruire Israël ; de l’autre, les phalangistes chrétiens qui veulent bouter les Palestiniens hors du pays. Françoise rejoint le quartier général des phalangistes de Pierre Gemayel. Puis, elle part avec un groupe de miliciens qui participe à l’assaut du quartier de la Quarantaine à Beyrouth. Les phalangistes chrétiens sont en train de raser le quartier palestinien Depuis la nuit, le nettoyage est mené avec une efficacité implacable, maison par maison et rue par rue. Françoise suit un jeune milicien à la cruauté sans bornes : « Régulièrement, il me faisait signe d’arrêter de photographier. Puis, j’entendais les coups de feu, femmes, enfants, vieillards… La tuerie n’épargne personne tandis qu’un incendie dévore les baraques du bidonville. En début d’après-midi, la Quarantaine a été rayé de la carte. Françoise de Mulder atteint le fond du camp où une cinquantaine de Palestiniens se rendent en arborant un foulard blanc. C’est alors que survient la scène qui symbolisera à jamais la guerre du Liban : mains tendues dans une ultime prière, une vieille Palestinienne implore le milicien d ‘arrêter le massacre. Peu après, les réfugiés ont été alignés le long du mur d’une usine et ils ont été exécutés.

Cette photo a failli ne jamais être publiée. Expédiés à Amman par un coursier en voiture, les rouleaux n’arriveront que deux semaines plus tard à Paris. Françoise travaille à l’époque pour Gamma : « Reportage formidable », commente l’agence par télex, « mais nous avons raté le marché américain » ... En clair : c’était trop tard ! De retour en France, Françoise découvre que la photo n’a jamais été éditée. Sous exposé, le cliché est passé inaperçu sur la planche contact ! Les responsables de Gamma, qui avaient réceptionné les pellicules n’avaient pas retenu cette image complexe qui offre plusieurs plans de lecture. La photographe sort le négatif des rebuts pour donner sa chance à l’image qui est pour elle le symbole du drame palestinien. Revanche est prise ! La photo est couronnée « meilleure photo de l’année » par le World Press photo de 1977. L’image fait le tour du monde, incarnant l’horreur que vit le peuple libanais.

 

Qui était Fifi :

Son originalité, dans ce métier habitué à la transmission des images à grande vitesse, était de s'installer pour des mois durant dans les pays qu'elle venait couvrir. Elle voulait comprendre le pays et pensait qu’y vivre était le meilleur des moyens pour y parvenir. C'était une nomade, une extraordinaire saltimbanque, le journalisme n'était pas pour elle une façon de gagner de l'argent mais une raison de vivre et de respirer. Pour ses amis et dans le métier du photojournalisme, elle s'appelait « Fifi », surnom qu’elle devait d'ailleurs à Yasser Arafat, le leader palestinien dont elle était l’amie et qui la baptisa ainsi, faute de prononcer correctement son prénom. Belle, courageuse et drôle, elle adorait la vie qu’elle brûlait par tous les bouts. Tous les photographes et journalistes étaient subjugués par sa personne, résume le journaliste Sammy Ketz, de l'AFP, qui l'a connue à Téhéran et à Beyrouth. Tout le monde l'adorait, elle était très belle, et très courageuse, assez merveilleuse et très fidèle en amitiés.


L’immobilité, un comble :

Gravement malade du cancer depuis 2001, elle n'a pas de couverture sociale. Elle a pourtant travaillé pour Sipa, Gamma et Corbis... Suite à une dernière mission à Bagdad au lendemain du 11 septembre, elle était aussi paralysée depuis 2003 suite à une erreur chirurgicale. Des photographes avaient organisé une vente de tirages pour l'aider à assumer ses frais médicaux… Elle n'arrivait pas à faire le deuil de sa mobilité, déclare l’ancien rédacteur en chef de Sygma, Sylvain Breton. Elle est décédée à l'âge de 61 ans suite à une crise cardiaque en 2008.

Enfin, voici deux sites pour approfondir la connaissance de Françoise Demulder : http://francoise.demulder.free.fr/ et https://www.roger-viollet.fr/fr/s-1045095-francoise-demulder/page/1#nb-result


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :