Gilles Caron

De l’enfance à l’adolescence :
Gilles Caron est né en 1939 à Neuilly-sur-Seine où il passe sa petite enfance. En 1946 suite de la séparation de ses parents, il est envoyé en pension en Haute Savoie à Argentière, où il restera sept ans. En 1957 il perd son père Edouard Caron, c’est également l’année où il commence ses études à Janson de Sailly à Paris. C’est à cette période qu’il va commencer à voyager : l’Angleterre, le Maroc, l’Espagne… En 1958 il entreprend une année d’études supérieures de journalisme à l’Ecole des hautes études internationales de Paris. Gilles commence cette même année à avoir envie de voyager, il part durant l’été en auto-stop direction la Yougoslavie, puis en Turquie, en Iran et en Inde. L’année 1959 marque pour Gilles le début de sa période d’apprentissage de la vie. Il fait son service militaire qui durera vingt-huit mois, dont vingt-deux qu’il passera en Algérie. Il intègre le 3ème RPIMa en 1960, c’est un régiment de parachutistes d’infanterie de marine héritier du 3ème régiment de parachutistes coloniaux créé en 1955 sous les ordres du lieutenant-colonel Bigeard. Il est présent dans toutes les grandes opérations en Algérie. Durant cette période, il passera deux mois en prison, à la suite de son refus de combattre et terminera son service avec l’interdiction de porter les armes à faire des corvées.


La guerre qui change un homme :
A propos de cette période en Algérie, je vous  recommande le livre « J’ai voulu voir - Lettres d’Algérie » publié aux Editions Calmann-Lévy. Cet ouvrage apporte un témoignage exceptionnel sur cette guerre et sur l’homme. C’est une « nouvelle expérience » où désillusions et apprentissages de la dureté de l’homme et de la vie se confondent. Cette correspondance présentée par Marianne Caron-Montely, veuve du photographe, est la collection des lettres que s’échangent Gilles Caron et sa mère, Charlotte Warden, née en 1900, qui a épousé en secondes noces Edouard Caron.

Les premières lettres sont les courriers de Gilles enfant interne pour raisons familiales à Argentière en Savoie. On se rend très vite compte dès ce moment qu’il s’agit d’un jeune homme déjà passionné par le cinéma, la littérature et l’action. Puis la suite de la correspondance devient franchement intéressante … Quelques jours après avoir débarqué à Alger, dans une lettre il écrit : « Nous commençons par fouiller les mechtas, c’est-à-dire répandre les sacs de farine sur le sol, balancer les lentilles, casser les plats, chasser et tuer les poules pour notre consommation personnelle. Je n’ai pas touché à mes rations. Au bout de deux jours, le village était saignant, jonché de cadavres de chèvres égorgées dans lesquels nous taillions des biftecks. Notre sergent, en slip blanc, pieds nus, courait partout avec un sabre et jouait au matador avec les ânes. Un véritable déchainement de violence, de cruauté aussi. Des chèvres bastonnées pour le plaisir, des poules plumées vivantes. Pourquoi ? Les femmes étaient fouillées dans les mechtas, une à une. A la première j’ai eu un choc. C’était une vieille, elle est rentrée en relevant ses jupes, pour me montrer qu’elle connaissait nos mœurs sans doute. Ensuite elle a ouvert tout grand sa bouche, afin que je constate qu’il n’y avait pas de dents en or à arracher ! » …  « Je n’arrive pas à comprendre comment je ne suis pas planqué dans un service à Alger. Enfin, oui, je sais : j’ai voulu voir. Maintenant j’ai vu, et il serait temps que j’en sorte. » Quelques semaines plus tard : « Pour moi, c’est presque un lavage de cerveau que je subis. L’éreintement en plus et l’impression d’être toujours en porte-à-faux, jamais avec les autres, dans le coup. A force de compromissions, je me retrouverais médaillé, ancien combattant, lecteur de L’Express, pseudo-étudiant, pseudo-journaliste. J’aurais eu envie de déserter pendant vingt-huit mois. Je ne l’aurais pas fait et je m’assiérais une fois pour toutes rue Méchain. »  Puis plus tard encore, Gilles parle des Opé : « A force d’entendre et de voir des horreurs, elles ne me sautent plus aux yeux comme avant. La première compagnie a, sur renseignements, fouillé un village. Le commandant de compagnie a été blessé par un coup de feu et, de rage sans doute, il a donné quartier libre. Femmes, enfants, tout a été tué. Trente cadavres en tout. Plutôt que de les enterrer, ils ont été brûlés dans une mechta. Chère Mame, quand je dis « nous », c’est avec amertume, parce que je suis effectivement là, mais ne t’inquiète pas, je ne suis pas un tortionnaire, ni en actes, ni en pensées. Ne le crois surtout pas ! Dans mes lettres, je te parle peut-être moins qu’avant. C’est simplement que j’en ai marre de ces histoires. » Enfin le soldat Caron sort de sa coquille : « Après douze mois, je suis sorti de mon silence en criant de toute ma voix, contenue raisonnablement jusque-là… Toute la compagnie, ou presque, a exprimé son mécontentement en se solidarisant avec une section qui a refusé de partir en Opé. Pour une fois, je n’étais pas le seul à en avoir marre et je n’ai pas pu faire autrement que de m’afficher un peu … A Alger je serai mis en taule, et il n’y a pas d’autre solution que d’attendre. »


Retour en France :
En 1962 il revient en France, et épouse Marianne qu’il connait depuis qu'il a treize ans et demi. Un an plus tard sa fille Marjolaine naitra de cette union. C’est en 1964 que la carrière de photographe de Gilles débute vraiment grâce à un stage qu’il fait chez Patrice Molinard, photographe de publicité et de mode. En 1965 il entre à l’agence Apis, Agence Parisienne d’Information Sociale, il y couvre des tournages de films, des spectacles et diverses manifestations. Mais c’est surtout l’année où il rencontre Raymond Depardon alors photographe de l’agence Dalmas. Dès lors en 1966 tout s’accélère, il fait d’abord la Une de France-Soir avec des images prises durant la promenade de Marcel Leroy-Finville à la prison de la Santé. C’est un agent secret français mis en cause dans l'affaire de l’enlèvement et de l’assassinat de Ben Barka. Puis après un rapide passage à l’agence de mode Photographic Service, il rejoint Raymond Depardon, Hubert Henrotte, Jean Monteux et Hugues Vassal, l’équipe fondatrice de Gamma.


Trois années intenses de reportages de guerres :
En juin 1967, il décroche sa première mission en tant que reporter de guerre en couvrant la guerre des Six-Jours. Il y prend l’actualité mais fait aussi parler son style quelque peu décalé, rebelle et avant-gardiste pour l’époque en prenant par exemple un casque et une paire de chaussures gisants dans le sable de la guerre des Six-Jours. Ce n’est plus à proprement parler de l’information mais plutôt un « paysage d'actualité » comme, avec le temps, on le verra beaucoup dans la photographie contemporaine. Il est à Jérusalem avec l'armée israélienne et gagne le Canal de Suez avec les forces de commandement dirigées par le général Ariel Sharon. La publication de son travail dans Paris Match propulse l'agence Gamma la première place sur le podium des agences mondiales. Puis il enchaine en partant pour le Vietnam dans la province de Kon Tum, dans les hauts-plateaux centraux du Sud-Vietnam, où il suit les affrontements de la colline 875, l’une des batailles les plus dures du conflit. A ce moment précis, on se rend compte du talent hors norme de Gilles, lors de nombreux moments d'attentes, avant et après l’action, durant lesquels il fige des visages de combattants dans leurs pensées. On pense par exemple à ces deux portraits stupéfiants pris sous deux angles différents d’un marine songeur lors d’un moment d’accalmie durant la bataille de Dak To. Il nous montre la guerre dans ce qu’elle a de plus dure pour le combattant et que l’on ne verra que très rarement. Il nous parle dans ses images du côté psychologique des conflits, du fait de devoir vivre avec des souvenirs, que dis-je, des cauchemars, qui viendront hanter le restant de vos jours. Il a réussi à figer dans ces deux portraits la détresse d’un homme qui a peut-être perdu des amis, des frères d’armes, qui a peut-être fait des choses dont il n’est pas fier…

En 1968 il couvre la guerre civile au Biafra. Il se retrouve aux côtés de Don McCullin, grand rival et ami, qui travaille pour le Sunday Times Magazine de Londres. En mai il revient à Paris juste pour le début des révoltes étudiantes qui gagneront toute la France et provoqueront une grève générale nationale. Il prend notamment un cliché de Daniel Cohn-Bendit en train de narguer des CRS, qui deviendra l’une de ses images les plus célèbres. Puis il documentera quotidiennement les manifestations étudiantes dans la capitale en immortalisant la situation tendue de l’époque par de nombreuses prises de vue comme ou ce CRS qui pourchasse un étudiant avec sa matraque… Puis il suivra le président de la République Charles de Gaulle en visite officielle en Roumanie avant de repartir au Biafra accompagné, cette fois, de Depardon. A cette occasion il prend la photographie devenue célèbre aujourd’hui de Raymond en pleine séance documentaire alors qu’il filme un enfant souffrant de la famine. Ensuite il se rend à Mexico, à la veille des Jeux Olympiques, pour rendre compte des manifestations estudiantines violemment réprimées par le gouvernement. Il repart une troisième fois pour le Biafra pour y faire un nouveau reportage.

En 1969 il prend une nouvelle destination vers un nouveau point chaud en Irlande du Nord. Une fois sur place il documente grandement les manifestations catholiques à Londonderry et à Belfast. Quelques jours plus tard, il est envoyé pour couvrir l’anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague en Tchécoslovaquie par les chars soviétiques. Paris Match publiera simultanément ses deux reportages. En 1970 il fait partie d’une expédition dans le Tibesti tchadien organisée par Robert Pledge, avec Raymond Depardon et Michel Honorin, pour couvrir la rébellion des Toubous contre le pouvoir central de Fort Lamy soutenu par le gouvernement français. Il tombe dans une embuscade et sera retenu un mois comme prisonnier des forces gouvernementales avec ses trois confrères.

Une fois revenu du Nord du Tchad il s’embarque pour le Cambodge au lendemain de la déposition du prince Norodom Sihanouk par le Général Lon Nol. Le 5 avril 1970, il disparaît avec deux autres français, le reporter Guy Hannoteaux et le coopérant Michel Visot, sur la route n°1 qui relie le Cambodge au Vietnam dans une zone contrôlée par les khmers rouges de Pol Pot. Il aurait eu 31 ans trois mois après. Henri Cartier-Bresson dira de Gilles Caron qu’il était le photographe le plus talentueux de sa génération.


Gilles le touche-à-tout :
On le voit bien dans son parcourt, Caron était un touche-à-tout, il documentait les guerres, les mouvements sociaux, suivait la politique, les faits divers ou les spectacles. C’était un vrai phénomène dans son style car il était capable de réaliser jusqu'à quatre reportages par jour. Il disait du reste : « Il n'y a pas tellement de différence entre couvrir la guerre en Israël et faire la première à l'Olympia ». Car le travail de Gilles, c’était aussi un autre aspect beaucoup moins connu que le reportage de terrain relatif à l’actualité politique et à la couverture des conflits. Il a aussi réalisé durant deux années, avant de s’engager dans le métier de Grand Reporter, la couverture des personnalités du showbiz. C’est ainsi que de nombreuses « Stars » sont passées devant ses objectifs comme dans le domaine du cinéma par exemple avec Brigitte Bardot, Romy Schneider, Ursula Andress, Mireille Darc ou Jean Yanne, et au niveau de la chanson avec Paul McCartney, James Brown, Jacques Brel, Serge Gainsbourg ou Johnny Hallyday.


Voici le site de la fondation Gilles Caron : http://www.fondationgillescaron.org/index.html


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :