Henri Huet

Henri Huet est né en 1927 à Đà Lạt en Indochine, d'un père français et d'une mère vietnamienne, le jeune homme métis passe une partie de sa vie au Vietnam. Il vient en France en 1932, il grandit à Roz-sur-Couesnon, et passe ses vacances à Dinard et à Saint-Malo. Il s'engage dans la Marine nationale et, après avoir suivi des cours de photographie, est envoyé au Viêt Nam en 1949 comme photographe pour l'armée. À la fin de la guerre en 1954, il reste au Viêt Nam comme photographe civil, mais la guerre survient de nouveau et il devient photographe pour United Press International (UPI) puis Associated Press (AP) à partir de 1965. Depuis lors, les journalistes d’AP partagent le quotidien du photographe français. Il est apparu un jour, amené par Eddie Adams qui l’a convaincu de quitter UPI pour rejoindre l’équipe d’AP. C’était la meilleure façon, selon le photographe américain, de neutraliser son principal concurrent. Petit, le cheveu sombre, le sourire éclatant et le teint buriné, il parle anglais avec un fort accent français. Discret, il en dit peu sur sa vie personnelle. La plupart de ses collègues ignorent qu’il a une ex-femme et deux enfants, en France. Huet fut toujours considéré par ses collègues comme brave et compétent ; le chef de bureau de l'UPI, Dirck Halstead dira que Huet avait toujours le sourire !


Les photographies d'Henri Huet sont en noir et blanc et se caractérisent par une attention particulière de la composition. Comme le souligne sa nièce, Hélène Gédouin, Henri a été étudiant à l'École des beaux-arts, et a toujours conservé une certaine façon de voir les choses, d'une certaine manière il observe la guerre en artiste. Il photographiait la bataille en frère, mais aussi en artiste. Un art sobre et efficace est à l'œuvre, que ce soit quand il immortalise une longue file de cuirassés qui remonte lentement le bras sinueux du Mékong ou une compagnie de Marines qui émerge de la brume... Il faut dire qu'Huet ne gâche pas la pellicule : n'utilisant que des appareils dépourvus de moteur, il ne mitraille pas les échauffourées dans l'espoir d'attraper au vol un cliché réussi. Au contraire avec application, il cadre et prend le temps de construire sa prise, autant que le permettent les balles qui sifflent autour de lui. Au point de submerger le bureau de l'AP de superbes clichés, bureau qui ne sait plus où donner de la tête. « Henri Huet ne faisait pas que saisir une scène d'action, un évènement, mais il apportait aussi le background, à travers la composition, les différents plans explique Laurent Rebours directeur photo à Paris pour AP. Ses photographies avaient quelque chose en plus. » Ce ne sont pas les rafales ni le crépitement des fusils qui intéressent le plus Henri Huet,  le photographe préfère voir un soldat qui pleure qu'un soldat qui tire affirmera Laurent Rebours d'AP. Il y a bien ces fusées qui rendent la nuit esthétique et qui valorisent la silhouette d'un char le temps d'un moment incroyable ! A en rendre la guerre esthétique et séduisante. Mais ce que montre surtout le travail d'Henri Huet, ce sont les à-côtés de la guerre, comme une compagnie qui péniblement se réveille dans la boue après une courte nuit de sommeil. Et lorsque l'armée déplace un village entier de montagnards, sa pellicule s'attarde sur les visages égarés des petites filles entassées dans les hélicoptères sous le regard fatigué des vieillards. Il a effectivement le souci permanent de montrer les conditions de vie des civils vietnamiens.


Pour l’ancien photoreporter Isabel Ellsen, cela ne fait aucun doute : « Personne n'a jamais photographié la guerre comme Henri Huet. » De la première guerre d'Indochine à l'invasion du Laos par les troupes sud-vietnamiennes, Henri Huet aura porté son objectif sur tous les bourbiers, jusqu'à en trouver la mort ! De son côté Henri nous livre sa façon d’exercer son métier dans une interview pour le Montreal Star, le 27 avril 1967: « Je crois au destin. Au cœur d'une bataille, je pense que je ne suis pas un soldat et que je ne peux être touché ! Le jour où l'on cesse de penser cela, il faut cesser de travailler ! ». Dans une autre déclaration il confit l’amour qu’il lui porte : « Vraiment, j’aime mon métier et n’en changerais pour rien au monde. Vous devez me trouver un peu fou, mais vous savez depuis belle lurette que j’ai toujours été un peu casse-cou. »


Photographier à la fois les combattants et les civils, témoigner de ce que veut dire faire et vivre la guerre, est sans doute important pour n'importe quel photographe. Mais pour Henri Huet, ce conflit est singulier : « Il ne photographiait pas le Vietnam comme un étranger qui découvre un pays exotique, c'était son pays, ses amis et ses frères explique Hélène Gédouin. »


Lorsqu'on regarde les instantanés d'Henri Huet, on sent qu'il est dans le timing. Il ne court pas après l'Histoire, il est dedans ! Il avait toujours ce petit coup d'avance par rapport à ses confrères. Sa correspondance en atteste quand il explique qu’il prend très tôt conscience que les Etats-Unis perdront cette guerre, qu'ils la perdront parce que leur analyse du terrain et surtout celle des mentalités étaient mauvaises. Henri Huet ne semblait pourtant pas destiné à devenir photoreporter de guerre. Il commence par des études de photographie aux Beaux-arts de Rennes. Aventurier, il s'engage ensuite dans l'armée et retrouve sa terre natale avec la guerre d'Indochine, mais pas de la façon qu'il eût aimée. Désapprouvant l'action de l'armée française, il démissionne pour rejoindre la plantation de son père. Marié à Saïgon, avec deux enfants, il voit les premières troupes US se déployer sur le territoire vietnamien et des contingents entiers de photoreporters le rejoindre. Ce n'est pas encore Apocalypse Now, mais les médias ont bien l'intention de mettre en scène le conflit sous la splendeur des bombes au napalm. La guerre du Vietnam constitue un tournant dans la photographie de guerre, une sorte d'âge d'or terrible. C'est la première fois que des photographes civils se rendent massivement sur le champ de bataille, explique Laurent Rebours. « Avant, pendant la seconde guerre mondiale, la photographie de la guerre était surtout faite par des militaires. A l'exception notable de Robert Capa, on avait surtout affaire à des soldats-photographes. Avec le Vietnam, la guerre est couverte par des journalistes de métier. » Bien que présente, la censure était faible, à peine y avait-il quelques officiers de presse qui jetaient vaguement un regard sur le travail des photographes. De l'avis même d'un grand nombre de reporters, l'impact des photographies sur l'opinion publique a sans doute été surestimé. Mais qu'importe : le mythe d'un cliché en noir et blanc capable de démolir l'Amérique plus sûrement que les roquettes viet-congs est né. Après la débâcle de 1973, le gouvernement américain pointe du doigt les prises de vue étalées en pleine page des magazines américains. Désormais, pour être admis aux côtés des soldats, les photographes de guerre n'auront accès qu'à des pools soigneusement organisées. « Pas question de renouveler le désastre vietnamien, de voir des photos étalés dans la presse de Marines en train de pleurer leur mère, de crever les tripes à l'air. Pas de drogues, pas d'alcool, pas de filles, pas de massacres inutiles, pas de pétages de plomb et surtout pas de photographes témoins. » Invités à partager le quotidien des soldats en première ligne, embarqués dans les hélicoptères, les photographes jouissent d'une liberté certaine. Mais cette marge de manœuvre a un prix : jamais conflit n'a été si meurtrier pour la profession. Cela n'empêchait aucun d'entre eux, et Henri Huet le premier, d'aller traîner leurs godillots dans la boue des rizières, « comme on va au bureau, au moins cinq jours par semaine, et cela chaque semaine », selon les mots de son collègue et ami Horst Faast. Pour retrouver, le soir, les collègues au relais local de l'AP et envoyer leurs dernières pellicules soigneusement annotées au bureau de New-York. Un travail épuisant : la photographie de guerre est d'abord un engagement physique. Qu'il suive ou non les déplacements d'une unité militaire, le photographe en partage le plus souvent les rudes conditions de vie. Le chaud, le froid, les longues marches, le manque de sommeil. Le dégoût et la peur. Être photographe, c'est vouloir et devoir être sur la ligne de front ou à l'arrière avec les blessés, au plus près de l'événement. Un instantané témoigne de ce qui se passe à un endroit précis et à un moment précis. Et il faut être sur place. Il ne peut être question de ouï-dire ou d'un vague cliché au zoom. C'est donc soi-même et sa vie que l'on engage. En 1965, Henri Huet saisit un aumônier américain qui donne l'extrême-onction à la photographe Dickey Chapelle, près de Chu Lai. Deux ans plus tard, il est grièvement blessé à son tour. Sur le champ de bataille, Henri Huet est autosuffisant, rapide, « maître dans l’art de se rendre invisible », note Horst Faas qui dirige les opérations photographiques d’AP au Vietnam. Il se faufile au cour de l’action sans se faire remarquer et se positionne toujours à la bonne distance. Pour déclencher, il sait prendre son temps ; il attend que l’image se compose. Certains se souviennent qu’il leur a appris à survivre sur le champ de bataille, certains qu’il n’est avare ni de conseils, ni de son temps, d’autres qu’il est toujours prêt pour une bonne plaisanterie. Il rapporte ses films à Saigon, épuisé, amaigri, couvert de la terre du Vietnam. Là, il disparaît sur sa vespa, rejoint un studio spartiate, partage parfois quelques sandwichs avec son ami Ed White.


Henri Huet élève un objet volant au rang d'icône du conflit qu’il documente. Massivement utilisé pour la première fois, l'hélicoptère devient rapidement la figure incontournable de la guerre du Vietnam. Que ce soit pour transporter les escouades de marines, l'artillerie de colline en colline ou même les morts, pour mitrailler au jugé la jungle épaisse en espérant atteindre les positions ennemies ou pour soutenir l'infanterie, il est le fer de lance de l'Amérique. En pleine page de Life, les insectes de métal vrombissant entre les vallées boisées symbolisent la lutte disproportionnée engagée par la plus grande puissance militaire du monde contre la société agraire indochinoise. Les clichés que prend Henri Huet par centaines inspireront l'imagerie hollywoodienne, comme cette image où l'on voit un fusil porté à bout de bras dans une rivière pour ne pas être mouillé alors que disparaît totalement sous l'eau celui qui le porte. Il y a aussi du Full Metal Jacket dans l'inscription ironique qu'arbore le canon obèse de 155mm : Sound of silence. Sa dernière pellicule.


En avril 1966, il est récompensé par le prix Gold Metal Robert Capa, pour ses photos prises pendant la bataille d'An Thi en janvier 1966. En février 1966, il fait la une de Life avec la photographie titrée « The war goes on », image d'un soldat en piteux état qui reçoit les soins d'un médecin éborgné et à la tête bandée. Et l’année suivante, en septembre 1967, il ne peut échapper au feu. Il est sérieusement blessé à Con Thien. Dana Stone, qui apprécie tant sa compagnie sur le terrain, immortalise la scène : Henri grimace de douleur dans une tranchée, ses appareils à côté de lui. Évacué, opéré, il est éloigné du champ de bataille pendant quelques mois. À peine rentré au Vietnam, il est impatient de retrouver l’action. Les missions sur le terrain se succèdent à nouveau. En 1969, la direction d’AP, inquiète des dangers qu’il court, le persuade d’accepter un transfert à Tokyo. Très vite, il s’ennuie ferme et n’aspire qu’à retourner au Vietnam. Le prétexte de l’invasion du Cambodge, en mars 1970, est tout trouvé : le bureau de Saigon manque de bras et demande qu’on renforce son équipe. Henri est candidat et obtient son transfert. Il est à nouveau chez lui. Il suit de près les opérations militaires au Cambodge. Ses courriers traduisent son inquiétude et son épuisement, et ce d’autant que l’invasion du pays s’accompagne de la mort et de la disparition de nombreux journalistes, parmi lesquels ses proches amis les photographes Kyioshi Sawada et Dana Stone.


L’année 1970 s’achève par un voyage en Nouvelle-Calédonie : l’ex-femme d’Henri Huet s’y est installée avec les enfants. Cela fait plus de trois ans qu’il ne les a vus ; il est si heureux de les retrouver. À peine revenu au Vietnam, il est à nouveau happé par l’actualité, l’invasion du Laos que préparent, depuis quelques mois, Sud-Vietnamiens et Américains. Les journalistes se groupent à la frontière, à Khe Sanh. Le temps est pluvieux, l’attente pénible. Henri Huet fait parvenir à Saïgon ses dernières pellicules. Pour la première fois depuis le début de la guerre, les Américains refusent d’embarquer des civils dans les hélicoptères. Les Sud-Vietnamiens suivent aussi cette règle, mais, le 9 février, l’officier qui commande la force sud-vietnamienne d’intervention au Laos convie des journalistes à l’accompagner dans son inspection du front. Le 10 février 1971, Huet, trois autres photographes amis, ainsi que sept autres personnes, trouvent la mort quand leur hélicoptère est abattu au-dessus de la piste Ho Chi Minh. Ce mercredi 10 février 1971, à Saigon vers 10h00, le silence a soudain envahi le bureau de l’agence Associated Press. Richard Pyle, le chef de bureau vient juste de prendre la communication de Michael Putzel, l’un des reporters d’AP qui couvrent l’invasion du Laos par l’armée sud-vietnamienne. Il prend note et s’efforçant de se concentrer car la ligne est mauvaise : « Un hélicoptère de la Vietnamese Air Force a été abattu au Laos. Ceux qui étaient à bord sont portés disparus et présumés morts. Parmi eux, quatre photographes de presse civils. Henri Huet d’Associated Press. Larry Burrows de Life. Kent Potter d’United Press International. Keisaburo Shimamoto de Newsweek. Tous les visages de l’équipe reflètent l’incompréhension. Les quatre journalistes sont portés disparus ! Leurs amis ! Et Henri... Non, pas Henri ». Comme bien d’autres, Henri Huet a donné sa vie pour son métier. Modestement, ainsi qu’à son habitude. Lorsque le site du crash est localisé en mars 1998, une équipe de recherche américaine se rend sur place, accompagnée d’Horst Faas et de Richard Pyle deux fidèles amis. Du flanc de la montagne, on déterre de la pellicule 35 mm, des optiques de Nikon, des fragments de montre, une médaille de baptême en or qu’il gardait précieusement dans son portefeuille et le boîtier d’un Leica. Des restes retrouvés sur le site du crash ont été scellés dans le mur du Mémorial des journalistes du musée de la presse, le Newseum, à Washington, en avril 2008…


Voici un site que je vous recommande sur le travail d’Henri Huet : http://www.apimages.com/Collection/Landing/Photographer-Henri-Huet/


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :