Vivian Maier

Qui a vu Vivian Maier ?
La vie de la photographe Vivian Maier reste en grande partie une énigme car elle a été reconstituée par un passionné qui a recherché des témoins de son existence. A la fin 2007, John Maloof, jeune agent immobilier de 25 ans recherche des photographies pour illustrer un livre sur le quartier de Portage Park à Chicago. Il achète pour 400 dollars, dans une salle des ventes, un lot de 30 000 négatifs et de quelques tirages réalisés dans les années 1950-1960. Sur l’ensemble il s’avère qu’il n’y a aucune image de Portage Park. Pourtant ces clichés, en noir et blanc, retiennent son attention pour leur beauté et leurs compositions soignées, mais il n’est pas expert en photographie et remise ses achats. Presque un an plus tard il ressort les négatifs, et cette fois, les numérise et examine les milliers de pellicules encore embobinées. Il reprend contact avec la maison de ventes aux enchères pour retrouver les acheteurs des autres lots et les rachète. Au total il acquiert plus de 100 000 négatifs dont des autoportraits de leur auteur datant de 30 ou 40 ans en arrière. Ce n’est qu’en 2009 que John découvre dans un carton une enveloppe d’un labo photo portant le nom de Vivian Maier. Dès lors il mène l’enquête et tape son nom sur Google pour découvrir son avis de décès paru quelques jours plus tôt dans le Chicago Tribune. Depuis, Maloof a fait de la reconnaissance de l'œuvre de Vivian Maier son travail, même s'il continue d'être brocanteur pour le côté alimentaire. Il a réussi à récupérer des effets personnels de la photographe, des appareils photo, des enregistrements, des films, ses livres photo et de nouveaux tirages. Viviane est morte dans l’anonymat à 83 ans et ses clichés font aujourd’hui le tour du monde à titre posthume. A l’heure où l'histoire de Vivian Maier prend fin, elle ne fait que commencer pour nous qui la découvrons dans le livre « Vivian Maier, Street Photographer » de John Maloof. Cet ouvrage reçoit partout un accueil admiratif et suscite de nombreux articles dans la presse américaine, dont le Wall Street Journal de janvier 2012 sous le titre « The Nanny's Secret » (le secret de la nounou).


La vie de Vivian :
Vivian Maier est née en 1926 à New York d'un père autrichien, Charles Maier et d'une mère française, Maria Jaussaud. Ses parents se séparent peu de temps après leur mariage, en 1929. Elle vit avec sa mère aux Etats-Unis jusqu’en 1930 puis plus de nouvelle d’elle. En 1932 ou en 1933, Vivian revient en France pour s'installer d'abord à Saint-julien, puis à Saint-Bonnet en Champsaur. La partie française de sa biographie a été reconstituée grâce aux travaux de l'Association Vivian Maier qui a procédé aux recherches de témoins de sa vie dans le Champsaur, sa vallée d'origine maternelle située dans les Hautes-Alpes. A la mi 1938, Maria Maier et sa fille alors âgée de 12 ans rentrent aux États-Unis ; elles embarquent à bord du Normandie qui relie Le Havre à New York où elles s'installent. Après la deuxième guerre mondiale, en 1951, Vivian Maier, jeune adulte de 24-25 ans, revient dans le Champsaur pour vendre aux enchères une propriété qui lui a été léguée. En attendant la vente, Vivian parcourt la région, rend visite aux membres de sa famille et par tous les temps fait de nombreuses photos avec ses appareils en bandoulière. Fin 1951 elle retourne à Manhattan et emménage à Chicago en 1956. Elle est alors engagée par Nancy et Avron Gensburg pour prendre soin de leurs trois garçons : John, Lane et Matthew. Selon Nancy, elle n'aimait pas particulièrement être une nounou, mais elle ne savait pas quoi faire d'autre. C'est pourtant ce métier qu'elle exercera durant toute sa vie active. Chez les Gensburg, elle bénéficie d'une salle de bain privée qui lui sert aussi de chambre noire où elle peut enfin développer ses négatifs et ses films. Elle donne libre cours à sa passion et dès qu'elle le peut, part photographier dans la rue la vie quotidienne de ses habitants, enfants, travailleurs, malheureux et gens de la bonne société. Photographe compulsive, elle arpente la ville, son appareil éternellement pendu à son cou. Puis en 1959, la famille Gensburg l’a remplacée temporairement durant 6 mois. En effet, d’après la datation de ses images, elle part seule cette année-là pour entamer un tour du monde. Elle se rend au Canada, en Égypte, au Yémen, en Italie, à Bangkok…

Plus tard, quand les enfants Gensburg sont devenus grands, Vivian Maier quitte la famille et poursuit son activité de famille en famille. À partir de ce moment ses négatifs ne seront plus développés, ni tirés. A cette même époque elle décide de s’essayer à la photographie en couleurs, elle utilise notamment un Kodak et un Leica. Puis la vieillesse s'installe peu à peu. Vivian connaît des difficultés financières. La plus grande partie de ses affaires se trouve chez un garde-meuble quand les frères Gensburg retrouvent leur nounou vivant dans un petit appartement à Cicero à la fin des années 1990. Vivian était toujours restée en contact avec cette famille, les Gensburg l'installent donc dans un appartement à Rogers Park et continuent de veiller sur elle.


Les secrets de la nounou :

Durant près d’un demi-siècle, cette gouvernante d’enfants de Chicago presse le déclencheur de son Rolleiflex pour saisir des images dignes des plus grands photographes humanistes. Autodidacte, elle apprend en pratiquant et ne prend même pas la peine de développer ses photos, elle ne les vend pas et ne les montre jamais. En bon photographe elle n’a pas de famille, préfère la solitude et utilise ses jours de congés pour prendre des clichés, d’après le témoignage d’enfants qu’elle a gardé et que John retrouve au fil de son enquête. Elle magnifie les marginaux et les miséreux auxquels on sent qu'elle s'identifie. Son style fait le lien entre la photographie humaniste française et la photographie américaine de la fin des années 50, qui montre les êtres avec leurs faiblesses au lieu de les idéaliser. D’ailleurs dans un article paru dans « Télérama » en avril 2011 intitulé « Le mystère Maier », Lila Rabattie analysait le travail de Vivian par les faits : « Il y a, par exemple, ces portraits d'enfants noirs et blancs jouant ensemble alors que les temps étaient plutôt à la ségrégation. Des pauvres et des marginaux photographiés tels les empereurs célestes de l'Amérique. Là, c'est un Afro-Américain, comme sorti d'un songe, déambulant à cheval en pleine ville, sous un pont. Ailleurs, ce sont de vieilles rombières emperlousées étranglées par leur renard au sourire carnassier…»

On remarque beaucoup de points communs dans les photos de Vivian Maier avec celles de Lisette Model. Ses cadrages inattendus de pieds de passants, ses raz de trottoirs et ses recherches sur les reflets des vitrines sont autant de similitudes. On sait aussi que Vivian achetait beaucoup de livres photos de grands photographes, mais qu’elle ne reproduisait pas pour autant leur travail. Elle s’en servait indéniablement pour progresser mais gardait sa propre sensibilité et naviguait dans son style entre l’esprit et les influences d’Helen Levitt, de Robert Doisneau, de Weegee, de Robert Frank ou de Willy Ronis. Son secret est d'avoir réalisé au cours de sa vie près de 120 000 photos connues aujourd’hui. Par contre la zone d’ombre et d’interrogation qui demeure est qu’elle ne les ait jamais vues pour la plupart. N’a-t-elle pas eu les moyens financiers de les faire développer ou de le faire elle-même ? Une sacrée question en effet !

Ainsi est née une légende qui a vécue dans l'anonymat comme nounou. C’est une histoire incroyable que celle d'un génie de la photographie découvert après toute une vie à exercer son art dans le plus grand isolement et dans un secret quasi absolu. Aujourd’hui, les grandes galeries américaines montrent son travail et vendent ses œuvres comme la galerie Steven Kasher de New York, celle de Catherine Couturier de Houston, la galerie de Merry Karnowsky de Los Angeles, celle de Jackson Fine Art d'Atlanta ou celle d’Howard Greenberg de New York. John Maloof a créé un site internet (http://www.vivianmaier.com/) et une page Facebook dédiés à Vivian, il a publié un livre de photos préfacé par Geoff Dyer, un écrivain britannique membre de la prestigieuse Royal Society of Literature. Il a aussi produit un documentaire « Finding Vivian Maier » avec Charlie Siskel qu'il présenta en février 2013 comme le sujet racontant l'incroyable histoire vraie de l’artiste.


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :