Paul Strand

Une rencontre déterminante :

Paul Strand, photographe et cinéaste américain, est né à New York le 16 octobre 1890 où ses grands-parents, originaires de Bohême, sont arrivés en 1840. Son père, Jacob Stransky, a changé son nom en Strand peu de temps avant sa naissance de son fils unique. Il tient une quincaillerie. Paul reçoit son premier appareil photo à l’âge de 12 ans, c’est un Brownie, mais il ne s’y intéresse guère, plus préoccupé par les jeux de rue avec les gamins du quartier. En 1904, ses parents l’inscrivent dans une école privée, l’Ethical Culture Fieldston School, pour le soustraire de l’école publique du quartier, le Upper West Side de Manhattan. Un de ses professeurs de sciences n’est autre que Lewis Hine, celui qui photographie les immigrants qui débarquent à Ellis Island. Il donne un cours de photographie libre et optionnel et encourage les étudiants à utiliser la photographie comme outil éducatif. C’est à ce moment, alors qu’il a 17 ans, qu’il décide qu’il sera photographe. Lewis Hine lui enseignera les rudiments de l’art photographique, et les principes de réflexion morale et humaniste portés par l’Ethical Culture School. Il passe dès lors la majeure partie de son temps libre à faire des photos avec la chambre 8x10" (20x25 cm) que lui prête son oncle de façon presque permanente et il est membre du Camera Club de New York. Il a accès à une chambre noire et à un studio, avantages considérables.


Naissance d’un photographe :

Il travaille comme employé de bureau dans l’entreprise familiale puis il rassemble ses économies, environ 400 dollars, et part pour un voyage en Europe, débutant à Naples et passant par Rome, Venise et Paris pour visiter les principaux musées et monuments. A son retour en 1911, il trouve un emploi dans une compagnie d’assurances, qu’il quittera pour s’installer comme photographe professionnel. Il commence par une carrière de portraitiste avec un certain succès et parcourt également la région en prenant des photos dans les collèges. Ce travail lui permet de visiter le pays et de développer son style en affinant son regard. Il s’interdit tout trucage, toute retouche, toute manipulation. Pour lui l’amour de la forme venait toujours renforcer le fonds. Ses photos demeurent, certes documentaires, honnêtes et artistiques, mais elles suscitent cependant des interrogations. C’est en 1915 qu’il estime être devenu réellement un photographe après avoir pratiqué durant huit ans.

En mars 1916, il expose pour la première fois et plusieurs de ses photos sont publiées au cours de l’année dans Camera Work. La revue paraîtra pour la dernière fois en 1917, pour des raisons financières, avec un numéro qui lui sera entièrement consacré. Agé de 25 ans, Strand rejoint le groupe prestigieux des artistes du cercle de Stieglitz. Strand tirait alors ses photos sur un papier au platine qu’il importait directement d’Angleterre. D’un prix très élevé, ce papier lui offrait une échelle des tons étendue allant du noir profond au blanc pur. Il améliora encore ce rendu par différentes expérimentations, en ajoutant par exemple au papier une nouvelle couche d’émulsion au platine qu’il fabriquait lui-même. Après l’impression, il effectuait encore un virage à l’or pour intensifier la richesse des noirs. Tout cela rendait chaque tirage très onéreux et demandait un temps excessif aussi était-il quasi impossible d’en vivre.


Premiers pas de cameraman :

En 1918 il est incorporé à l’armée, il est envoyé dans le Minnesota, à Rochester, pour suivre une formation d’infirmier. Il passera 18 mois dans le Minnesota comme technicien en radiographie dans un hôpital militaire. A la fin de son service militaire, en 1919, il s’essaye à la photo publicitaire mais, au début de 1922, il est contacté par des personnes qui envisagent de réaliser des films médicaux et Strand accepte immédiatement de devenir leur cameraman. Ses commanditaires l’encouragent à acheter la meilleure caméra qu’il puisse trouver pour réaliser ce genre de film et son choix se porte sur une Akeley. A peine ont-ils passé commande que ses investisseurs se désistent, peu importe, Strand l’achète pour son propre compte. Durant 10 ans, il filmera des événements sportifs et autres pour Pathé News, Fox Films et des scènes pour Hollywood. Mais la photographie reste sa principale préoccupation, qu’il ne peut satisfaire que lors des temps libres quand il n’a pas de commande à satisfaire.

En 1922, Paul Strand a épousé Rebecca Salsbury, une artiste. Le couple occupe un appartement dans la maison familiale de Strand. Il voyage à travers le Michoacán et utilise à cette occasion pour la première fois un objectif pourvu d’un prisme adaptable qui lui permet de faire une prise de vue à 90°. Il réalise ainsi des portraits surprenants d’intensité de personnes regardant fixement son gros appareil 13x18 sans se douter qu’ils sont eux-mêmes photographiés, puisque l’objectif est dirigé dans une autre direction. Il avait déjà utilisé un stratagème semblable, mais moins sophistiqué, pour des portraits de rue à New York, dont sa célèbre photo « Blind woman ». En 1936 il se remarie et c’est à l’occasion de son voyage de noces qu’il réalise une nouvelle série de paysages en Gaspésie.


A la recherche du village idéal :

La Deuxième Guerre mondiale engage Paul Strand dans un combat général et patriotique contre le fascisme. En 1945, le Musée d’Art moderne de New York organise une rétrospective de son œuvre, la première grande rétrospective du MOMA consacrée à un photographe. C’est durant la préparation de cette exposition que la directrice du département photographie, Nancy Newhall, fortement impressionnée par son travail, lui propose de réaliser en commun un livre sur la Nouvelle-Angleterre. Ils vont travailler de concert durant 5 ans à la préparation du livre « Time in New-England », Strand parcourant le pays à la recherche d’images de nature, de gens et d’architecture qui soient représentatives de la tradition de la Nouvelle-Angleterre, et Nancy Newhall écumant la Bibliothèque publique de New York à la recherches de textes représentatifs de cette région, berceau des États-Unis d’Amérique. Ils se rencontraient périodiquement et travaillaient à la mise en relation des images et des textes en des combinaisons souvent plus poétiques que rationnelles. Le livre paraît en 1950 et, quoique Strand ait été déçu par la qualité de la reproduction de ses photos, il a été séduit par la réalisation d’un livre dans lequel images et textes s’enrichissent mutuellement.

Son second mariage se termine par un nouveau divorce en 1949 et, au printemps 1950, il part pour la France avec Hazel Kingsbury, qu’il épousera en 1951, une photographe qui a travaillé pour la Croix-Rouge et a parcouru les zones de combats en Europe et en Extrême-Orient. Durant les premiers mois, ils parcourent la France en long et en large à la recherche du village idéal, sans jamais le trouver, mais Strand réalise de nombreuses photos qui feront l’objet d’un livre publié en 1952, « La France de profil », avec des textes de Claude Roy.

En 1949, Paul Strand se rend à un festival de cinéma en Tchécoslovaquie, où « Native Land » se verra récompensé, puis en Italie, au festival du film de Pérouse où les cinéaste néo-réalistes italiens réfléchissent à l’évolution de leur art et à sa diffusion au-delà des frontières nationales. C’est une commande du gouvernement mexicain passée en 1936 et du syndicat antifasciste qui a donné naissance à « Native Land » sorti en 1942. Ensuite, il va ardemment militer à des films qualifiés de subversifs au sein de Frontier qu’il fonde. C’est là qu’il rencontre Cesare Zavattini avec qui il évoque son projet du portrait global d’un village. Trois ans plus tard, Zavattini sera son guide en Italie et lui fera connaître son village natal, Luzzara, sur le Pô, où il réalisera enfin son vieux rêve. Le livre paraîtra en 1955 en Italie sous le titre « Un Paese », avec des textes de Cesare Zavattini.

En 1954, il séjourne 3 mois sur l’île de South Uist (Hébrides) pour des prises de vues qui donneront le livre « Tir a’Murhain, Outer Hebrides » paru en 1962 contenant 106 photos et des textes de Basil Davidson. D’autres livres suivront, « Living Egypt » paru en 1969 dans lequel il rend compte de l’évolution de la société égyptienne, des grands travaux et de l’industrialisation mais, comme dans ses autres ouvrages, de la vie quotidienne plutôt que des grandes attractions touristiques. Il voyage également en Roumanie, au Maroc, puis au Ghana, à l’invitation du président de la république Kwame Nkrumah, ce qui donnera le livre « Ghana : An African Portrait » paru en 1976 avec à nouveau des textes de Basil Davidson.


Orgeval :

Au début de leur séjour en France, les Strand vivent à Paris, à l’hôtel puis dans un appartement au cinquième étage sans ascenseur du 13e arrondissement, puis en 1955 ils achètent une maison dans le petit village d’Orgeval, à une trentaine de kilomètres de Paris. C’est principalement pour pouvoir disposer enfin d’une chambre noire, et d’un peu plus d’espace. A bientôt 65 ans, Orgeval sera dès lors leur port d’attache, où ils rentreront après leurs nombreux voyages, où ils recevront des amis et des visiteurs, dont de nombreux jeunes photographes américains avec qui Strand aimait s’entretenir.

En 1965, en signe de protestation contre la Guerre du Vietnam, il refuse publiquement par une lettre dans le Times une invitation à un déjeuner à la Maison Blanche à l’occasion d’un festival des arts et ce n’est qu’après plus de 20 ans d’absence qu’il reverra son pays pour un séjour de deux ans, de 1973 à 1975, à l’occasion d’une grande rétrospective qui lui est consacrée par le Metropolitan Museum of Art de New York.

Puis sa vue se dégrade à tel point qu’il lui est difficile d’effectuer lui-même ses tirages. Après deux opérations de la cataracte, de retour en France, il continue de travailler, faisant des gros plans dans son jardin et préparant deux livres « On my Doorstep » et « The Garden » qui paraîtront à titre posthume. Dans la dernière année de sa vie, Strand, de plus en plus malade, accepte l’assistance d’un jeune laborantin, Richard Benson. Sous son contrôle strict, Benson réalise ainsi les tirages du portfolio « On my Doorstep ». La plupart du temps alité, portant sur sa robe de chambre la rosette de Commandeur de l’Ordre des Arts et Lettres qui lui avait été récemment attribué, honneur rarement conféré à un photographe, Strand approuve les derniers tirages en mars 1976. Sans rien dire à ses proches, il cesse de boire et de s’alimenter et meurt paisiblement quelques jours plus tard le 31 mars 1976 à Orgeval.


Voici un site sur son travail que vous pouvez consulter pour approfondir cette biographie : http://www.espritsnomades.com/artsplastiques/strand/strand.html


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :